PAIE TON ENTRETIEN

« À diplôme égal, les jeunes des territoires défavorisés ont 2,7 fois moins de chance d’accéder à un entretien d’embauche que ceux habitants des territoires plus privilégiés », selon le cabinet de recrutement et conseils, Mozaïc RH. Aujourd’hui, ça fait trois ans que j’en fais l’amère expérience.

« Je vous conseille de ne pas indiquer que vous vivez à Clichy-sous-Bois sur votre CV. » C’est en ces termes que m’a accueilli, en septembre 2014 un des conseillers Pôle Emploi de ma ville lors de mon inscription comme « demandeur d’emploi ». Ma première réaction a été de sourire en pensant qu’il plaisantait. Il m’a fallu quelques mois pour comprendre qu’il était sérieux et qu’il avait bien fait de m’avertir.

« Votre profil ne correspond pas tout à fait… »

Diplômée d’un master en journalisme web en 2014, après avoir fait un baccalauréat professionnel, je pensais pourtant avoir parcouru le plus dur. Née au Sénégal, je suis arrivée en France à l’âge de 4 ans avec ma famille. J’ai vécu toute ma scolarité à Clichy-sous-Bois qui n’existait pas médiatiquement à l’époque. Jeune fille plutôt sage et effacée, je me voyais devenir esthéticienne. Jusqu’en 2005 quand éclatent les émeutes suite à la mort de Zyed et Bouna. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me rêver en journaliste pour couvrir la vie quotidienne en banlieue. J’ai pensé alors qu’il me suffirait d’étudier pour réaliser mon désir. J’étais loin de me douter de ce qui m’attendait.

Après quatre années passées sur les bancs d’une grande fac parisienne pour décrocher une maîtrise en Lettres Modernes, j’ai pu passer des concours et rejoindre une école de journalisme. Deux ans après, en 2014, mes stages validés et mon diplôme en poche, je me suis lancée dans la recherche d’un travail, bien que je savais le secteur précaire.

Des offres d’emploi en journalisme d’entreprise et en community management, j’en ai croisé beaucoup en trois ans. Sur plus d’une centaine de candidatures, je n’ai jamais décroché le moindre entretien d’embauche (CDI, CDD et piges confondues). Et ce, même en insistant lourdement dans mes relances. Tous mes camarades de promo s’en sont bien mieux sortis, avec des CDI pour certains. Les rares réponses obtenues s’apparentaient au légendaire « Je suis désolé, votre profil ne correspond pas tout à fait », et ce sans explication.

Effacer mon identité pour réussir ?

En 2015, lors d’une réunion d’aide à la recherche d’emploi à Clichy-sous-Bois, organisée par le Pôle Emploi, une intervenante avait donné comme conseil de ne pas mettre de photo sur son CV pour ne pas être discriminé. Alors, j’ai supprimé ma photo. Sans succès. Quelques mois plus tard, je reçois une nouvelle recommandation : « Supprimez votre nom et prénom ! » À nouveau : aucun résultat. On m’a finalement proposé de retirer mon adresse postale. Ma tête, mon nom, mon adresse… Dois-je effacer complètement mon identité pour obtenir une chance de réussir ? Pourquoi mes compétences, mes diplômes, mon expérience passent-ils au second plan ?

Malgré tout, je ne me suis pas laissée abattre. La solution m’est venue par une autre méthode de recherche : me présenter directement aux entreprises. En octobre dernier, au détour d’une des allées d’un salon de recrutement dans les Hauts-de-Seine, j’ai rencontré une start-up à laquelle j’avais envoyé, un mois auparavant, une candidature qui était restée lettre morte malgré plusieurs relances par mail et téléphone. Bizarrement mon profil les a soudain intéressés. « Vous vous exprimez très bien, vous avez une excellente présentation », me lance la recruteuse, d’un air surpris, avant de jeter un œil à mon CV. Non, le fait d’avoir des origines étrangères et d’habiter un quartier défavorisé ne fait pas de moi une personne qui ne sait pas s’exprimer.

J’ai pu, ce jour-là, voir enfin une de mes candidatures validées pour la prochaine étape : l’entretien avec les directeurs de l’entreprise. Et même si je n’ai finalement pas décroché le poste, j’ai senti que je pouvais enfin avoir le droit d’être plus qu’un CV qu’on met immédiatement de côté.

 

Illustrations : EE Comics
Texte : L’auteure de l’article désire rester anonyme
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